Dans le cadre de l’atelier Reporters de vie du programme Vous faites partie de lhistoire, Tatiana Krouglokova a raconté son histoire devant les élèves de lÉcole russe Gramota.
L’école française en Russie
Je suis née en Russie à la fin de l’année 1954, un an après la mort de Staline. J’ai passé mon enfance à Moscou. J’ai étudié au début dans une école ordinaire. Après, j’ai fait mes études dans une école primaire spécialisée, une école avec l’étude approfondie de la langue française. Donc, j’ai étudié la langue française à partir de 8 ans. C’est un système d’écoles qui existent encore en Russie surtout à Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans les grandes villes, où pendant 5 jours, tu as au moins une heure de langue étrangère.
Le français était la langue de la noblesse russe au 19e siècle.
Au début de sa vie, le fameux Pouchkine, le poète national russe, a parlé français mieux que le russe, après, sa gouvernante a commencé à parler russe avec lui. Comme lui, Tatiana, une de ces héroïnes parle le français et ensuite russe. Le français était non seulement la mode mais c’était vraiment une habitude dans la noblesse russe de l’époque.
Au 20e siècle, parler français est signe de bonne manière et témoigne d’une éducation cultivée. Certaines familles soviétiques aimaient que leurs enfants parlent le français parce que c’était la langue d’une haute culture.
À mon époque, il y avait non seulement le français comme langue étrangère, mais aussi le cours de littérature française et aussi parfois des cours de géographie, d’histoire et même de mathématiques tout en français. Donc, on était pas mal équipés en arrivant à notre 10e année. En ce temps, l’école primaire et secondaire comptait 10 ans. Après, on entrait à l’université.
Les étés, on allait aux alentours de Moscou à peu près à 50 kilomètres où on louait un chalet, en russe on appelle une Dacha....
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L’école française en Russie
Je suis née en Russie à la fin de l’année 1954, un an après la mort de Staline. J’ai passé mon enfance à Moscou. J’ai étudié au début dans une école ordinaire. Après, j’ai fait mes études dans une école primaire spécialisée, une école avec l’étude approfondie de la langue française. Donc, j’ai étudié la langue française à partir de 8 ans. C’est un système d’écoles qui existent encore en Russie surtout à Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans les grandes villes, où pendant 5 jours, tu as au moins une heure de langue étrangère.
Le français était la langue de la noblesse russe au 19e siècle.
Au début de sa vie, le fameux Pouchkine, le poète national russe, a parlé français mieux que le russe, après, sa gouvernante a commencé à parler russe avec lui. Comme lui, Tatiana, une de ces héroïnes parle le français et ensuite russe. Le français était non seulement la mode mais c’était vraiment une habitude dans la noblesse russe de l’époque.
Au 20e siècle, parler français est signe de bonne manière et témoigne d’une éducation cultivée. Certaines familles soviétiques aimaient que leurs enfants parlent le français parce que c’était la langue d’une haute culture.
À mon époque, il y avait non seulement le français comme langue étrangère, mais aussi le cours de littérature française et aussi parfois des cours de géographie, d’histoire et même de mathématiques tout en français. Donc, on était pas mal équipés en arrivant à notre 10e année. En ce temps, l’école primaire et secondaire comptait 10 ans. Après, on entrait à l’université.
Les étés, on allait aux alentours de Moscou à peu près à 50 kilomètres où on louait un chalet, en russe on appelle une Dacha. Je passais 2 mois et demi fantastique, sous le soleil, en me baignant dans une rivière, en allant dans la forêt, en cueillant les champignons et les fraises sauvages; c’était le meilleur temps de mon enfance. En arrivant à Montréal, j’ai voulu refaire le même tableau et deux ans après avoir créer cette école [école russe Gramota], on a commencé à faire les camps d’été russes pour que les enfants russophones apprennent à explorer la nature : aller dans les bois, se baigner dans les lacs et les rivières, cueillir des fraises et des bleuets sauvages.
Je suis arrivée à la fin de l’année 1994…
La raison principale était pour que mon fils soit en sécurité parce qu’il n’y avait pas beaucoup de sécurité en Russie. À cette époque, il était un adolescent et à l’âge de 17 ans et il y avait le recrutement dans l’Armée rouge. A ce moment là, il y avait la guerre en Afghanistan et ensuite, la guerre en Tchétchénie. Le danger était fort pour que mon fils tombe sous la loi de recrutement total et aille à la guerre. Moi, je n’avais pas l’intention de perdre mon fils unique. C’est pour ça que j’ai eu l’idée d’immigrer.
De plus, je n’étais pas complètement d’accord avec la situation politique dans mon pays à cette époque là. Ce n’était pas le début de perestroïka mais la continuation, l’époque de Yeltsin. J’avais participé aux manifestations pour la démocratie, et finalement, toutes les réformes n’étaient pas à la hauteur de nos espérances, donc, j’étais très déçue. C’était ma raison numéro deux de partir.
Je ne veux pas retourner vivre en Russie, mais j’y vais deux à trois fois par année pour les affaires de l’école et pour voir mes amis. Notre école est très liée avec la Russie, non seulement avec le matériel didactique qu’on achète là-bas mais aussi avec le Ministère de l’éducation. On participe à plusieurs concours, on a aussi des liens avec le département de l’éducation de Moscou.
Vivre à Montréal
J’ai choisi de vivre à Montréal tout simplement parce que je suis francophone. J’ai aussi entendu beaucoup de bonnes choses au sujet de Montréal que c’est une ville internationale, qu’on parle deux langues. J’ai toujours voulu que mon fils parle deux langues couramment : l’anglais et le français. Je connaissais aussi des amis de la parenté de mon mari qui étaient ici et qui nous disait toujours de venir à Montréal.
C’est une société qui est en train de se forger. C’est vraiment un melting-pot qui se fait sous nos yeux et nous sommes aussi participants de ce phénomène. Les Québécois de souche sont des gens très accueillants, très ouverts, ce qui est bon.
Le premier jour
J’ai atterri le 28 novembre 1994. J’ai vu de mon avion les steppes couvertes de la première neige. Il n’y avait rien, pas de villes. J’étais vraiment choquée parce que ça nous a pris du temps à arriver à Montréal.
Je n’ai pas réalisée que j’étais arrivée en ville. C’est le premier choc visuel parce que je cherchais des grandes maisons, des gratte-ciels et je ne les retrouvais pas. Le seul repère de la ville, c’était l’oratoire Saint-Joseph qu’on voit de partout. Ma première réaction était : où suis-je et où est Montréal ?
J’ai commencé à découvrir la ville et j’ai compris que l’architecture nord-américaine ce n’est pas la même chose qu’en Europe et en Russie. J’étais tombée dans un espace tout à fait nouveau.
La communauté russe de Montréal
Il y a eu plusieurs vagues d’immigration russe. Je sais que la première vague d’immigration est à la fin du 19e siècle. La deuxième vague c’est plutôt après la guerre civile et la révolution d’octobre (1917), c’est-à-dire aux alentours des années 1925-1926. La troisième vague est après la deuxième guerre mondiale, dans les années 1950. La dernière vague a lieu dans années 1990.
La communauté est devenue plus ou moins nombreuse seulement vers les années 1995-1996. C’est là où on peut dire qu’il y avait une certaine population russophone parce que le russe c’est la langue des 15 ex-républiques de l’Union soviétique. Maintenant, je crois qu’on peut compter plus de 50 000 russophones à Montréal mais on n’a pas de statistiques officielles parce qu’il y a des gens qui sont des réfugiés politiques ou qui n’ont pas reçus leur document officiel. C’est pour ça qu’on ne peut pas dire exactement le nombre de la communauté russe mais elle est suffisamment nombreuse.
Je trouve que pour le moment la communauté est très bien organisée. Elle a commencé à s’organiser, il y a 10 ans. Il y a plusieurs librairies russes qui offrent plusieurs manuels scolaires pour les gens qui veulent donner l’éducation en russe à leur enfant à la maison. Il y a plusieurs restaurants russes, des bibliothèques, quatre ou cinq paroisses russes orthodoxes de différentes branches, quelques centres qui aident les nouveaux arrivants. Il y a plusieurs représentations de théâtre avec des acteurs russes qui viennent de l’extérieur. Il y a aussi l’association de théâtre russe qui propose des spectacles en russe. Des acteurs et des metteurs en scène russes travaillent dans la communauté montréalaise mais ils donnent leur spectacle en anglais ou en français. Par exemple Alexandre Marino, Igora Vadis, ce sont des acteurs russes de très grande renommée.
Au début, la communauté a commencé dans le quartier Côte des Neiges. C’était surtout des juifs soviétiques qui venaient s’installer ici autour de « Djahiass » et autour de la rue Westbury où la communauté juive aidait les immigrants. Ensuite, ceux qui arrivaient s’installaient dans ce quartier. Donc, pour le moment, les quartiers Côte des Neiges et Notre Dame de Grâce sont plus peuplés par des immigrants russophones que d’autres quartiers de la ville. Mais, au fur et au mesure que les gens s’élèvent socialement et se stabilisent financièrement, ils commencent à s’acheter des maisons, vous pouvez voir plusieurs immigrants d’origine russe au West Island, à Dollard-des-Ormeaux, à Pierrefonds, à Kirkland ou d’autres endroits à l’ouest de la ville. Beaucoup de gens sont maintenant à Laval et d’autres à Longueuil. Les russes sont partout.
Les raisons de l’immigration étaient plutôt politiques. Par exemple, les juifs ont fui à cause de l’anti-sémitisme soviétique. Mais la dernière vague, ce sont des raisons économiques. Quand les gens ne peuvent pas subvenir à leurs besoins, ils sont obligés de se créer une meilleure vie, qui est très dure à créer, mais ils le font quand même.
Plusieurs gens de la communauté russophone que je connais ont changé complètement leur profession, ils se sont remis aux études de nouveaux et puis ils ont réussi. Ça prend beaucoup d’énergie et d’efforts, parfois il y a des moments de désespoir, mais on s’en sort. Pour ma part, je n’ai pas eu la barrière de la langue et c’est pourquoi mon insertion dans la communauté québécoise était beaucoup plus facile que chez les autres.
J’ai gardé des traditions de mon pays parce que dans mon quotidien, je n’ai pas changé grand chose. Le Canada est un pays si ouvert qu’on peut garder nos habitudes culturelles sans aucun problème. Non seulement j’ai gardé les traditions russes, mais on a aussi crée une école où on transmet le meilleur de nos traditions culturelles et littéraires pour que les jeunes soient plus fiers de leur origine russe ou russophone. L’identification culturelle est très importante.
Parcours professionnel
Je suis professeure de littérature française et professeure de français langue seconde. J’ai terminé l’université de Moscou, la section des études françaises. C’était très difficile de se trouver du travail et j’ai commencé à travailler comme spécialiste d’histoire et de culture de l’Amérique latine : Pérou, Bolivie et Équateur. J’ai travaillé 12 ans sur les pays hispanophones et les pays de l’Amérique du sud et latine, ma deuxième langue étrangère est donc l’espagnol.
Je pouvais facilement lire et écrire les articles. J’écrivais des articles analytiques pour plusieurs instances comme le comité central du parti communiste de l’Union soviétique en élaborant les pistes de politique extérieure de l’Union soviétique par rapport à ces pays.
Après, j’ai travaillé quelques mois à l’école en enseignant la langue française. J’ai été aussi traductrice et interprète pour les délégations pendant les congrès mondiaux, les conférences internationales où je faisais la traduction d’articles de presse.
Créer une école russe à Montréal
Quand j’ai su que j’allais immigrer au Canada, je me suis demandée ce que j’allais faire à Montréal. Je me suis dit qu’il faudrait faire le contraire vu que c’est le pays de la langue française et anglaise, on doit conserver notre langue d’origine. J’ai eu l’idée de créer l’école Gramota à Moscou et en arrivant ici, j’ai trouvé des gens qui étaient d’accord avec moi et on a commencé à bâtir l’école. La première année, il y avait 35 étudiants pour 3 classes, maintenant on a 350 élèves et 20 classes. Ça fait une bonne différence.
On a commencé une affaire qui était bonne pour tout le monde et dont les gens avaient besoin. Je souhaite toujours améliorer ce qu’on a. On améliore l’école au point de vue administratif, pédagogique, on lance les nouveaux manuels, les nouveaux projets.
Au début, l’école était dans les locaux de lécole privée des Belles Lettres, située sur le Plateau Mont-Royal, rue de Gaspé. On avait un accord avec le collège français qui a loué, au début, gratuitement les locaux et c’est grâce à ça qu’on a pu se développer. La direction du Collège Français nous a donné un vrai coup de main. Ils étaient très intéressés à avoir des étudiants russes parce qu’on dit que les élèves sont disciplinés, assidus et bons en mathématiques et français.
J’étais très émue le premier jour de notre école. J’ai enseigné pendant pratiquement 9 ans la littérature russe. Quand je suis rentrée dans la classe, j’ai compris que j’étais très timide et très gênée parce que je n’ai jamais enseignée la littérature russe devant toute une classe. J’étais à moitié perdue, c’était comme passé un examen.
Aujourd’hui, je rencontre encore des anciens élèves avec lesquels on a toujours des liens d’amitié et je suis très fière parce qu’ils sont tous universitaires et ils ont tous choisi les sciences humaines. D’après moi, les professeurs de cette école contribuent beaucoup aux choix de carrière et de formation. Dans cette école, on leur dit que c’est très important le contact avec les gens, l’aide psychologique et aussi l’enseignement de la littérature russe.
Dans le futur très proche, j’aimerais probablement organiser un atelier théâtral complètement indépendant de l’école pour faire des vrais spectacles, des grands spectacles pour le public et le jeune public de Montréal. Et probablement un jour, cette école sera une école de chaque jour parce qu’il y a beaucoup de gens qui le veulent. On ne sait jamais.
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